Mars 2022 / Pâtisserie

 

2 mars 2022

 

Charmant ouvrage

que le Paris qui onsomme (1893) d'Emile Goudeau. Les illustrations de Pierre Vidal sont charmantes !

Un extrait  : la brioche de la rue de la Lune :

« Pittoresque en diable, cette sombre rue de la Lune qui vient déboucher sur le Boulevard à la hauteur d’un entresol,en plein air : un vrai décor de théâtre dans un brouhaha singulier, fantaisiste.

                    Il y a là, à la tombée du jour, en hiver, surtout à l’époque du premier de l’an, une bousculade sous la lumière électrique. Un étranger passant en voiture sur le Boulevard, et apercevant subitement une sorte de rempart surmonté d’une grille, et derrière cette grille deux rez-de-chaussée vivement éclairés et encombrés d’une foule noire, et plus loin deux autres rez-de-chaussée à vitraux bizarres, d’un style orientalo-comique, à vitres rouges ou bleues, ne saurait guère ce que peut être cette rapide vision, pareille à une échappée sur quelque scène de féerie, de mélodrame, ou d’opéra-bouffe.

                    (Bouffe serait ici le mot exact dans le sens que l’argot attribue au verbe bouffer, et que les célèbres Beni-Bouffe-Toujours rendirent fameux, à l’enterrement de Victor Hugo, par le ridicule que cette étrange société vint inopinément jeter sur la queue du cortège).

                  Ce sont d'abord les deux boutiques de brioches dont le comptoir donne à même la rue : la brioche de la Lune, et sa concurrente la madeleine Jehanne. Il y eut naguère procès entre ces concurrents, et la brioche de la Lune, européennement connue sous ce titre, l’emporta sur sa cadette. La Lune, astre indivisible en l’occurrence, fut solennellement attribuée à la maison Lion, qui a posé l’effigie souriante de notre satellite sur les carreaux de son vitrage.

                         La voisine, renonçant aux brioches, s’est rejetée sur les madeleines.

                     Mais c’est de la brioche que veut tout ce peuple grouillant là, ces enfants et ces dames, et jusqu’à ces gros messieurs en chapeau à haute forme. Toutes les mains avides se tendent, toutes les bouches crient vers les demoiselles de comptoir, dont le feu de la vente rougit le visage. Elles sont trois : les Grâces ou les Parques ? Celle du milieu encaisse l’argent, les autres tendent les paquets. Une coupe la ficelle : c’est Atropos. 

Et toujours les appels :

— Une brioche, deux brioches, trois brioches, douze brioches !

— Voici, monsieur; voici, madame.

— Une brioche à cinquante (centimes), une à soixante-quinze, une à un franc cinquante.

— Voici, monsieur, voici, madame.

— La monnaie sur cinq francs, dix francs.

— A qui la monnaie ? Cinquante sur cinq.

— Voici, voici.

                                   Les sacs de papier portant la célèbre marque sont saisis avidement, et les clients, pour les sauver des heurts mortels, élèvent au-dessus de leur tête ces paquets de fragiles brioches : pareils à ces pères qu’on voit dans les tableaux de déluges, tendant leur enfant vers le ciel, au-dessus des flots.

                                Et l’on entend des voix désespérées : « N’y en a plus, faut attendre ! oh ! malheur ! faut prendre des numéros comme aux omnibus ! »

                                    A côté, un peu plus haut dans la rue de la Lune, une brasserie à femmes vient d’allumer ses lampes vertes, et un bock à trente y pourra faire glisser la brioche. Entre cette brasserie et la brioche, un cabinet à quinze, montrant sa devanture orientale à vitraux colorés, ofïre sa double rangée de boxes.

                                    Admirable et complet microcosme !»

15 mars 2022

Une galette tant désirée…

 

« […] après avoir parcimonieusement ordonné le menu quotidien, le bonhomme allait se diriger vers son fruitier, en fermant néanmoins les armoires de sa Dépense, lorsque Nanon l’arrêta pour lui dire : Monsieur, donnez-moi donc alors de la farine et du beurre, je ferai une galette aux enfants.

— Ne vas-tu pas mettre la maison au pillage à cause de mon neveu ?

[…]

— Mademoiselle, cria-t-elle par la croisée, est-ce pas que vous voulez de la galette ?

— Non, non, répondit Eugénie.

— Allons, Nanon, dit Grandet en entendant la voix de sa fille, tiens. Il ouvrit la mette où était la farine, lui en donna une mesure, et ajouta quelques onces de beurre au morceau qu’il avait déjà coupé.

— Il faudra du bois pour chauffer le four, dit l’implacable Nanon.

Eh ! bien, tu en prendras à ta suffisance, répondit-il mélancoliquement, mais alors tu nous feras une tarte aux fruits, et tu nous cuiras au four tout le dîner ; par ainsi, tu n’allumeras pas deux feux.

— Quien ! s’écria Nanon, vous n’avez pas besoin de me le dire. Grandet jeta sur son fidèle ministre un coup d’œil presque paternel. — Mademoiselle, cria la cuisinière, nous aurons une galette. »

 

Honoré de Balzac, Eugénie Grandet

22 mars 1922

Une boutique à la mode à Paris, vers 1840

 

« Un très modeste pâtissier vint s’établir sur le boulevard Saint-Denis ; sa très modeste boutique n’aurait pas pu contenir trois personnes, aussi n’entrait-on pas : on se tenait dehors, et quelquefois on faisait queue pour acheter de la galette, car c’est presque l’unique pâtisserie dont il faisait le débit, mais il en vendait depuis le matin jusqu’à minuit et quelquefois plus tard encore. Une galette n’avait pas le temps de paraître, et le pâtissier n’avait qu’à couper. Cric, crac, de tous côtés on tendait la main pour recevoir une part de deux sous ou d’un sou… et la galette qui venait d’être détaillée était remplacée aussitôt par une autre, car dès qu’il n’y en avait plus il y en avait encore et le pâtissier recommençait à couper. Il ne faisait pas autre chose depuis que sa boutique était ouverte jusqu’au moment où il la fermait, aussi lui avait-on donné le sobriquet de Coupe-Toujours. »

 

Paul de Kock

Cité par Paul Sébillot, Légendes et Curiosités des métiers, 1894-1895.

26 mars 2022

 

Les Galettes du Diable

 

« À Basses, au centre du village

Le diable, tout à son ouvrage,

Dans sa poêle faisait chauffer

Des galettes qu'il avait volées

Au curé de la paroisse,

Espérant manger de bonnes fouaces.

Lorsque, soudain, il fut surpris

Par Radegonde qui, devant lui,

Passait pour se rendre à Villiers

Dans son domaine de l'été.

À la vue de cette sainte femme,

Il panique et il s'alarme,

Et, dans une ultime colère,

Il donne un grand coup de pied en l'air,

Les galettes sont toutes dispersées

À plusieurs lieues et pétrifiées,

Pour se transformer en dolmens

De Vaon, Bernazay, Roche-Vernaize. »

 

Fernande Germain,

d’après Louis Charbonneau-Lassay

30 mars

 

La fougasse

 

« […] notre visite les a surprises en train de cuire la fournée de la semaine, comme en témoigne l’appétissante odeur de pain chaud qui embaume toute la maison.

— Alors, dit le peintre, nous allons goûter de la fougasse ; il n’y a rien de meilleur pour faire trouver le vin bon.

En effet, le temps de mettre la fougasse au four, et aussi je pense de remplacer par le large ruban brodé et la coiffette relevée en bonnet phrygien, le mouchoir blanc du matin coquettement noué sur le front en deux cornes blanches, et voici Maman Bermonde et Bermondette qui apportent la fougasse fumante et mince, frottée d’huile fine et persillée de grains d’anis.

On s’est évidemment pressé, et Mlle Bermondette a encore un peu — tel un fil d’argent qui sertirait un bijou rose — encore un peu de fleur de farine autour des ongles.

Exquise, la fougasse pétrie par ces mains petites et brunes ! »

 

Paul Arène, Chez une reine,

dans Contes et nouvelles de Provence

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.

Copyright Annie Perrier-Robert. © Tous droits réservés.