Le chewing-gum

 

 

Cette « gomme à mâcher » est constituée d’une base élastique, insoluble dans l’eau et non ingérée, à laquelle sont ajoutés, dans un malaxeur, sucre, sirop de glucose, arômes et colorants. Chaque gomme a sa formule spécifique, que son fabricant tient jalousement secrète. La gomme de base est strictement réglementée : elle est soit d’origine végétale, soit obtenue par synthèse, soit mixte. Dans sa composition, très complexe, entrent différentes gommes et des substances d’addition, telles que résines, cires, antioxygènes ou conservateurs. Cettte composition varie selon le type d’articles : tablettes, dragées, gomme à claquer (bubble gum). Les arômes les plus courants sont la menthe (poivrée ou douce), le menthol et la chlorophylle. Mais, plus récents, les chewing-gums aux fruits (citron, fraise, etc.) ont su se faire une clientèle non négligeable parmi les jeunes.

À l’origine de ce produit, qui occupe une place quelque peu à part au sein de la confiserie de sucre : le chicle, gomme obtenue à partir d’une plante de la famille des sapotacées, originaire du Mexique, abondante dans les plaines sablonneuses de Tlaxcala, de Huamantla et d’Apan, et que les Indiens baptisèrent yerba del chicle. L’extraction de cette gomme était pratiquée par les indigènes bien avant que n’apparût le chewing-gum. Elle se faisait de façon artisanale : « Ils commencent par moudre l’herbe qu’ils ramassent, puis ils la pressent pour concentrer ensuite le jus par le moyen de la chaleur, jusqu’au degré de densité voulu. Ils versent ensuite la substance dans des moules, d’où elle sort en se refroidissant en forme de maquettes ou pains qui sont ainsi livrés au commerce. », lit-on dans un numéro du Journal des Confiseurs, à la fin du XIXsiècle.

Des chicleros au Mexique.

Les Mexicains avaient coutume de mâchonner de petites bandes de cette gomme tout au long de la journée. Les Indiens d’Amérique du Nord mâchaient, quant à eux, la gomme du sapin. Et certains Américains eurent l’idée de mélanger cette gomme avec de la cire d’abeilles. Ce fut le cas de John B. Curtis, qui, en 1848, lança la première gomme à mâcher, the State of Maine Pure Spruce Gum. Le même, en 1850, commercialisa des gommes de paraffine parfumées, qui rencontrèrent un plus grand succès. Deux décennies, plus tard, en 1869, un dentiste de Mount Vernon (Ohio), William Finley Semple, mit au point une gomme dentifrice, faite de gomme, dissoute dans du naphte et de l’alcool, et d’un peu de réglisse (1).

Néanmoins, c’est du Mexique que vint le chewing-gum… En effet, chassé de son pays par la révolution, en 1869, et ayant choisi de s’exiler aux États-Unis, le général Antonio López de Santa Anna (1794-1876) s’installa dans une maison de Staten Island (New York), avec, dans ses bagages, une abondante provision de chicle. Il espérait que cette gomme pourrait devenir un substitut du caoutchouc et… faire sa fortune. Son espoir fut déçu.

En revanche, Thomas Adams (1818-1905), Américain du New Jersey installé à Brooklyn, qu’il avait chargé de traiter l’affaire, conserva le stock de gomme lorsque le général, amnistié, rentra au Mexique. Ayant remarqué une fillette mâchant de la parafine White Mountain dans une pharmacie et se souvenant de l’habitude des Mexicains de mastiquer du chicle, il renonça à la transformation de celui-ci en caoutchouc synthétique souhaitée par le général et à laquelle il s’était essayé sans succès. Il déposa, en 1871, un brevet pour une machine destinée à la fabrication de la gomme à mâcher, et créa, avec son fils Horatio, dans le cadre de son entreprise Adams & Sons (2), une gomme pure à base de chicle, sans parfum, façonnée en bâtonnet et enveloppée dans un papier de couleur. L’accueil réservé à l’Adams New York Gum, « Snapping and Stretching », vendue dès 1871 dans les pharmacies au prix d’un penny la pièce, fut tel que la firme se mit à en vendre par millions et que, pour répondre à la demande, une immense usine modèle fut construite. Dès lors, Thomas Adams expérimenta divers parfums — à commencer par la salsepareille. Et en 1884, il lança son premier article parfumé, l’Adams’ Black Jack, aromatisé à la réglisse, lequel fut aussi le premier chewing-gum façonné en bâtonnets, forme qui est parvenue jusqu’à nous. Le succès fut immédiat— une popularité que le Black Jack allait conserver jusque dans les années 1970. En 1888, un nouveau chewing gum, Tutti Frutti, fut la première gomme à mâcher vendue dans une machine distributrice, et ce dans une station de métro de New York City. Devenue la plus importante fabrique de chewing gum du pays, la firme d’Adams s’unit, en 1899, à six des plus gros producteurs de chewing gum des États-Unis et du Canada, pour détenir le monopole de cette production (3). Elle devait compléter son succès par le lancement des Chiclets, petites dragées carrées au noyau de chewing-gum.

1926, illustration de Robert Robinson.

1925, illustration de Leslie Thrasher.

Publicité parue dans Life en 1895.

1918.

1919.

 1920.

Publicités de 1919.

Inévitablement, d’autres « fabricants » n’avaient pas tardé à s’intéresser au produit, qui pouvait se présenter sous diverses formes : bonbons, pastilles, etc. Certains apportèrent même des améliorations. Ainsi, en 1880, John Colgan inventa un procédé pour que le chewing gum conservât son goût plus longtemps. D’autre part, l’ajout au chicle d’un sirop de glucose aromatisé à la menthe revient à un certain Williams J. Whit, qui lança le Yucatan Chewing Gum. Quant à William Wrigley Jr., pionnier de la publicité pour le chewing-gum au tout début du XXsiècle, il allait contribuer à l’essor de sa consommation dans le monde entier. En 1914, il créa la marque Wrigley Doublemint. Lui et Henry Fleer initièrent l’ajout de menthe (4) et d’extraits de fruits au chewing gum à base de chicle.

Le chewing-gum fut introduit en Europe en 1917, avec l’arrivée en France des troupes du général Pershing ; son succès fut immédiat, mais il ne dura pas. Le goût de la gomme à mâcher ne s’y implanta véritablement que lors de la Seconde Guerre mondiale, à la faveur de la venue des troupes américaines, et elle s’y fit, à partir des années 1950, presque autant d’adeptes qu’outre-Atlantique. Un homme participa largement à cet engouement : C. E. Parfet, agent général pour l’Europe de la société américaine Beechnut. Il créa la première unité de fabrication et lança le premier chewing-gum français, Hollywood Chewing-Gum.

Aujourd’hui, à eux seuls, les États-Unis comptent quelque vingt fabriques de chewing-gum, la plus importante étant la Wrigley Company. Ils présentent la plus grande diversité de produits, de toutes formes et de toutes saveurs (raisin, coca, limonade, pomme verte, etc.). Certes, quelque peu concurrencés par la créativité japonaise, qui a mis au point des chewing-gums au saké, à la vitamine C, pour ne pas s’endormir au volant, etc. Car, dans le monde entier (5), la gomme à mâcher est entrée dans les mœurs. Certes, elle peut être rafraîchissante après un repas, apaisante lorsqu’on s’efforce d’arrêter de fumer ou relaxante en période de stress. Le général Lopez de Santa Anna ne disait-il pas : « Mâchonner de la gomme, c’est pour le Mexicain et pour le soldat le meilleur moyen d’accepter son sort. Le chicle efface la colère, les angoisses, les chagrins, calme les nerfs » ? Mais c’est la mastication, plus que le produit lui-même, qui génère ces effets bienfaisants. Car mâcher est un besoin naturel de l’individu et, de tout temps, celui-ci s’est donné des chiques. De la gomme extraite de l’écorce du lentisque, que mâchaient les Grecs anciens, aux feuilles de bétel ou de coca ou aux noix de kola, que mâchonnent encore certaines populations. Si, à la différence de ces produits masticatoires traditionnels, le chewing-gum satisfait une relative gourmandise, il a pour autre avantage — et ce n’est pas le moindre — de n’être pas nocif. De fait, des études ont montré que le sucre contenu dans la gomme disparaît très rapidement pour laisser place à un produit neutre, que l’on continue de mastiquer sans danger pour les dents.

Le bubble gum

 

Sa mise au point originelle, sous le nom de Blibber-Blubber gum, revient à l’Américain Frank Fleer, en 1906. Cependant, cette première « gomme à bulles » ne fut pas commercialisée. Sa recette allait être efficacement perfectionnée, en 1928, par un employé de la Frank H. Fleer Chewing Gum Company (Philadelphie, Pennsylvanie), Walter E. Diemer, sous l’appellation de Dubble Bubble. Que l’invention de Diemer ait été accidentelle, ainsi que le prétend la légende, ou non, la « gomme à claquer », de couleur rose (6), connut dès lors un immense succès. Elle demeura pratiquement sans concurrence jusqu’à ce que le Bazooka Bubble Gum fût lancé par la Topps Company (7), à la fin de la Second Guerre mondiale. L’article fut baptisé du nom de l’instrument musical insolite que l’humoriste Bob Burns avait confectionné et mis à la mode, dans les années 1930. Son emballage aux couleurs patriotiques — rouge, bleu et blanc — devint vite populaire dans tous les États-Unis. Aujourd’hui, parallèlement à sa formule originale (Original), le Bazooka se décline en de nombreux parfums et formes : au raisin (Grape), à la fraise (Strawberry), sans sucre (Sugarless Bazooka), etc. Au lendemain de la guerre, en 1946, la Thomas Weiner Company mit sur le marché son premier bubble gum, Super Bubble (7), dont le prix, deux ans plus tard, fut fixé à un cent, pour rivaliser avec le Duble Bubble de Fleer et le  Bazookade Topps. 

Parmi les autres grandes marques, le Big League Chew (8) fut créé par les joueurs de baseball Rob Nelson et Jim Bouton, comme alternative à l’habitude de mâcher du tabac, très courante chez les pratiquants de ce sport. Le Bubble Tape connut son âge d’or au début des années 1990 en visant essentiellement une clientèle enfantine, grâce à son astucieuse petite boîte ronde, contenant une bande de pâte de six pieds (environ 1,8 m) de long, roulée en spirale, et permettant de la débiter en morceaux selon son choix. L’Hubba Bubba (9),lancé en 1980 et réputé pour sa douceur, associe désormais au parfum traditionnel, dit Original, des saveurs de fruits (fraise, orange, pomme, etc.), qui varient selon les pays où cet article est fabriqué. Mais les deux produits les plus répandus sont les Bubblicious et Bubbaloo (10), dont le populaire emblème, Bubba le Chat, fut créé en 1997. Lancé en 1977 et bientôt connu comme « l’ultime bubble », qualification qui figure sur son emballage, le Bubblicious, premier bubble gumdoux, n’a cessé d’innover en matière de parfums (Blue Blowout, Gonzo Grape, Island Squeeze, Paradise Punch, Radical Red, Savage Sour Apple, Strawberry Splash, Twisted Tornado, Watermelon Wave). D’abord lancé en Amérique Latine, en 1984, le Bubbaloo, caractérisé par son cœur liquide, est devenu le numéro un du bubble gum dans le monde (11).

Aux États-Unis, le bubble gum est commercialisé en tablettes, en billes ou en tubes (tubble-gum). En billes, il est souvent proposé dans des distributeurs spécifiques. À la différence du chewing-gum, la « gomme à bulles » fait l’objet de concours. D’après le Guinness Book of World Records (1998), la plus grande bulle jamais soufflée mesure 58,42 cm de diamètre — record établi, le 19 juillet 1994, dans les studios d’ABC-TV à New York, par une certaine Susan Montgomery Williams, de Fresno (Californie). Depuis 2000, le Dubble Bubble (12) organise, aux États-Unis, un concours national de « soufflage » pour les enfants de douze ans — en  2004, cette compétition s’est étendue au Royaume-Uni. Il convient aussi de noter que les premières images (bubble gum cards), insérées dans les paquets de bubble gumet qui sont recherchées des collectionneurs, furent éditées dans les années 1930 ; elles représentaient héros de guerre, personnages du Far West, sportifs célébres, etc. La Topps Company adopta ce mode publicitaire en 1950 et, l’année suivante, inaugura une ligne de cartes consacrées au baseball — elle devait même sponsoriser des concours de « soufflage » réservés aux joueurs de baseball. En 1953, elle favorisa l’attrait du Bazooka auprès des plus jeunes en incluant des bandes dessinées ayant pour héros Bazooka Joe (Bazooka Joe comics) ; plus de 700 histoires furent lancées depuis lors. Leur succès fut tel que cette firme dut renoncer, en 1991, avec la série des Simpsons, à la formule de la pochette contenant bubble-gum et carte à collectionner (trading card), car les collectionneurs, semble-t-il, aussi nombreux que les « gourmands », se plaignirent des taches générées sur les cartes par le sucre du produit… Et la pochette ne contint, dès lors, que la carte…

1955.

1947 : le personnage emblématique

qui précéda Bazooka Joe : Dopey Danny Dee.

En France, le Malabar est un bubble gum lancé en 1958 par la firme Kréma. Son emballage contient, lui aussi, des images. Ce furent notamment : dès 1958, la série de vignettes « Incroyable mais vrai » ; à partir de 1965, des séries consacrées aux Indiens, aux costumes et aux uniformes ; plus tard, des tatouages à décalcomanies ; en 1979, une série de vignettes conçues par Frank Margerin. Par ailleurs, le personnage de Malabar, emblème de la marque qui vit le jour en 1969, inspira ses aventures en images, regroupées dans des albums : Échec à Follebull (1983), SOS Paradisia, île en péril !(1994), etc. En fait, l’image est indissociable de ce type de chewing-gum… En témoignent d’autres grandes marques françaises : Globo, qui, dans les années 1960, proposait des séries d’images sur le football ; May, qui opta pour des autocollants (par ex., Jurassic Park, dans les années 1990) en accompagnement de ses bubble gums ; Bell, qui choisit des thèmes plus didactiques, comme Les secrets du code de la route.

À noter qu’un imaginaire chewing-gum à bulles, Le Yankee, est, tant par sa pâte vert pomme que par son façonnage dragéifié en billes multicolores, au cœur d’un des plus célèbres gags de Louis de Funès, dans le film de Gérard Oury Les Aventures de Rabbi Jacob (1973).

1914.

1927.

Vers 1951.

Ani Albonico, Julia Bader,  1995.


C’était l’époque où les douairières s’initiaient au chewing-gum. Nous les entendions mastiquer dans notre dos.

Antoine Blondin

Les enfants du Bon Dieu

 

Il achète du chewing-gum à un kiosque et mastique avec force. La bouche parfumée de menthol, il marche d’un pas allégé.

Robert Sabatier

le Chinois d’Afrique

 

[…] dans la bouche du troisième, Américain, le chewing-gum ajoutait le ruminement national à une bestialité naturellement bovine.

Paul Morand

Venises

 

Sa soudaine tendresse pour Claude, pour l’inconnue, est inexplicable, et elle remâche ce mot comme un délicieux vieux chewing-gum. Inexplicable. On mâche la pâte sucrée, on l’étire, puis on se borne à l’effleurer du bout des lèvres, et la lumière vacille, le petit malaise de l’estomac vide.

Frantz-André Burguet

Les Meurtrières

 

Tout ce qu’elle portait était américain. Même ses cahiers, ses crayons, ses gommes… Même les bonbons qu’elle apportait à l’école pour offrir à tout un groupe d’admiratrices, qui l’entouraient dès qu’elle apparaissait. Les chewing-gum multicolores, surtout, avaient un succès bruyant.

Alla Avilova

Une goutte dans la mer

 

Je peux voir, penché à l’autre bout, le profil de Chetrier ; c’est le maître auxiliaire de physique-chimie. Je vois ses mâchoires remuer au rythme de l’écrasement répété du chewing-gum. Ce serait marrant qu’un élève se lève et lance :

     — Chetrier, à la porte, déposez en sortant votre chewing-gumdans la corbeille.

Patrick Cauvin

L’amour aveugle

 

Entre deux gâteaux, il mâchait des chewing-gums dit “ globos ” qu’il stockait dans un aquarium, désaffecté depuis qu’il avait torturé à mort ses occupants.

Yann Queffélec

 Les noces barbares

 

[…] Tatave eut une vedette à moteur téléguidée, un bocal de chewing-gums d’un genre nouveau : les Malabars, une Bible de Jérusalem, et une enveloppe qu’il s’empressa d’ouvrir — pour voir combien il y avait.

Yann Queffélec

Les noces barbares

 

Lorsque tu n’as rien à te foutre sous les chailles, tu mâches du chewing-gum pour tromper ta faim. Seulement, ça ne remplit pas la panse !

San-Antonio

Trempe ton pain dans la soupe

 

Bizarre… bizarre… j’ai toujours un Malabar dans la poche.

Bizarre… bizarre… je fais le désespoir de mes proches.

Louis Chédid

Bizarre, chanson, 1988

 

 

 

Je connais la fin, je l’ai ressentie. Enfant, à la fin de la guerre, je suis avec ceux qui courent sur la route à côté des camions des Américains. je rends mes mains pour attraper les barrettes de chewing-gum, le chocolat, les paquets de pain que les soldats lancent à la volée.

J. M. G. Le Clézio

Ritournelle de la faim


Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.

Copyright Annie Perrier-Robert. © Tous droits réservés.