La truie

 

« Les glandes, par leur nature, s'éloignent autant de la langue que celle-ci s'éloigne des chairs. C'est une propriété commune à toutes les glandes d'être agréables et de se morceler quand elles sont préparées pour le repas ; mais celles des mamelles offrent en outre, quand elles contiennent du lait, quelque chose de la douceur de ce liquide ; et c'est précisément pour cela que ces glandes, lorsqu'elles sont pleines de lait, surtout celles des truies, constituent un mets très recherché des gourmets. La nourriture que donnent les glandes, quand elles sont bien digérées, se rapproche de celle que fournissent les chairs ; mais, quand elles sont moins complètement assimilées, elles produisent des humeurs crues ou pituiteuses. Quoique les testicules appartiennent au genre des glandes, ils ne contiennent pas des humeurs aussi bonnes que les glandes des mamelles ; ils ont, au contraire, une certaine odeur repoussante, car ils trahissent la nature du sperme qu'ils fabriquent, comme les reins trahissent celle de l'urine; ils sont aussi beaucoup plus difficiles à digérer [que les autres glandes], du moins les testicules des animaux qui marchent ; car ceux des coqs engraissés sont agréables et donnent une bonne nourriture au corps. »

Oribase, Collection médicale, 32.

La truie était engraissée pendant environ deux mois ; on la châtrait comme la chamelle, ce qui rendait son engraissement plus rapide, explique Pline l’Ancien (1). Les Anciens ne négligeaient aucune partie de l’animal. « L'art s'est appliqué à développer le foie des truies comme celui des oies (X, 21) ; c'est une invention de M. Apicius (XIX, 24) : il les engraissait avec des figues sèches, puis les tuait soudainement après les avoir abreuvées de vin miellé (XXI, 53). Aucun animal ne fournit plus d'aliments à la gourmandise. Sa viande présente environ cinquante saveurs distinctes, tandis que celle des autres n'en présente qu'une ; de là tant de décrets des censeurs pour défendre dans les repas les ventres, les glandes, les testicules, les vulves, les têtes ; et qui n'empêche pas que Publius, auteur des mimes, après être sorti de servitude, ne dîne jamais, dit-on, sans un ventre de truie ; c'est même lui qui a donné à cette partie le nom de sumen. » (2)

(1) Histoire Naturelle, livre viii, lxxvii.

(2) ibid.

        « Le ventre de la truie était servi entier, roulé et maintenu ainsi par plusieurs hâtelets de roseaux », explique Jacques André. Les tétines de truie, qui, semble-t-il, étaient souvent servies en entrée, étaient très recherchées des festins de l’ancienne Rome. Juvénal paraît très loin de ces préoccupations de riches mangeurs : « Je n’ai pas de maître d’hôtel, prince de son art, élève du savant Tryphérus, chez qui l’on apprend à détailler d’un couteau émoussé des mets de choix, tétines de truie, lièvre, sanglier, antilope, oiseaux de Scythie, flamant, chèvre gétule […]. » (3) Pourtant la tétine constitue un apprêt délicat, comme l’explique Claude Galien au IIe siècle de notre ère : « Les glandes des mamelles offrent, quand elles contiennent du lait, quelque chose de la douceur de ce liquide ; et c’est précisément pour cela que ces glandes, quand elles sont pleines de lait, surtout celles des truies, constituent un mets très recherché des gourmets. » (4) Il n’est donc pas surprenant qu’Apicius en fournisse plusieurs recettes, farcies ou non. Pas davantage étonnant que des tétines de truie participent au contenu du surtout zodiacal présenté sur la table de Timalchion dans Le Satiricon, de Pétrone. De même, de belles tétines de truie sont prévues pour le « joli souper » auquel Martial invite Jules Cerealis :

(3)  Satires, XI.

(4) De alim ? fac ?.

           « D'abord viendra la laitue, dont le ventre aime la vertu laxative, et le porreau découpé en filets ; puis le thon et le cordyle plus gros que l'anchois, tous deux garnis d'une couche d'œufs et de feuilles de rue. D'autres œufs cuits sous la cendre te seront encore servis, ainsi que du fromage de Vélabre durci au feu, et des olives qui ont senti le froid du Picenum : voilà pour les hors-d'œuvre. Veux-tu connaître le reste ? Que je mentirais bien pour t'attirer plus sûrement ! Tu auras des poissons, des coquillages, des tétines de truie, de la volaille et des oiseaux aquatiques, de ces mets que Stella ne place que rarement sur sa table. » Dans une autre épigramme, il évoque un festin offert à des amis : « Des tranches d'œufs entoureront un plat d'anguilles bardées de rue, et vous aurez aussi des tétines de truie arrosées de saumure de thon. Ceci toutefois n'est que pour ouvrir l'appétit […]. » 

           Tétines de truie et pâtés de tétine de truie entrent dans la composition d’un fastueux repas donné par le pontife Lentulus que décrit l’écrivain latin Macrobe (v. 400 apr. J.-C.) dans ses Saturnales.

          Autre partie de la truie très goûtée des Romains : la vulve (5). Les poètes la célébrèrent. « Rien n’est meilleur qu’une grive. Rien n’est plus beau qu’une vulve (ventre ??) de truie bien large. », Horace (6) fait-il dire à Ménius dans une de ses épîtres. Lucille (7), pour sa part, lui consacra une épigramme : « Ce cynique à longue barbe, qui mendie un bâton à la main, nous a montré dans un festin son édifiante philosophie. D'abord il s'abstint des lupins et des raves, disant qu'il ne fallait pas que l'homme vertueux fût l'esclave de la gourmandise. Mais lorsqu'on eut servi sous ses yeux une vulve de truie, blanche comme neige, ferme et rebondie, sa frugalité fut comme escamotée : il en demanda contre toute attente, en mangea bel et bien, et nous assura que la vulve de truie ne faisait aucun tort à la tempérance et à la vertu. » Quant à Apicius (8), dans son chapitre consacré au « cuisinier somptueux » (« qui ne regarde pas à la dépense »), il donne plusieurs recettes, à la formulation lapidaire, pour « vulves de truies » et « vulves de truies stériles » [« matrices de truies jeunes », peut-être] : « Mouillez du laser de Cyrénaïque ou parthe avec du vinaigre et du garum, et servez », « Poivre graine de céleri, menthe sèche, racine de laser, miel, vinaigre et garum », etc. Il est plus explicite pour la recette de la vulve farcie de viande hachée et pilée comme pour les quenelles.

(5)  Bolba. du latin valves.

(6)  Épîtres, I, 15.

(8)  Anthologie grecque, Épigrammes de table et comiques, 410. Lucilius est un poète grec, sans doute d'origine latine, qui vécut sous les Antonins et Néron.

(8)  L’art culinaire.

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